La violence appelle la violence. Il n’en va pas autrement dans l’Est du Congo. Si personne ne réussit à briser cette spirale de violence, le chaos est à craindre

Une psychose totale gagne la population du Nord-Kivu

Samedi 30 septembre, Beni. Un couple a été lapidé parce que des citadins  pensaient avoir à faire à des rebelles ADF NALU’s. Leur fille de douze ans a pu échapper au même sort de justesse grâce à l’action courageuse de quelques femmes.

Le chauffeur qui a conduit en taxi la famille à Beni avait mobilisé ses complices encore avant son arrivée. Il avait vu des armes et des uniformes dans leurs bagages et ces preuves lui suffisaient pour en conclure qu’il s’agissait de terroristes de l’ADF qui devaient directement être tués. 

Sur le parking, ils étaient attendus par une bande de garçons excités qui ont exécuté le couple sans avoir mené d’enquête au préalable. Les photos de leurs cadavres se sont ensuite répandues comme une traînée de poudre sur internet. Le contenu de leurs valises a aussi été abondamment filmé et partagé. On aperçoit en effet des balles et des uniformes, mais qu’est-ce que cela prouve ?

Nouveaux uniformes

C’est bien connu : les attaquants des ADF présumés utilisent des uniformes de l’armée gouvernementale officielle, les FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo). Certains témoins sont d’avis que cela s’explique facilement car certains soldats de l’ADF sont des soldats la journée et se transforment en terroristes la nuit. D’autres disent que pas mal de soldats revendent leur uniforme pour se faire un peu d’argent parce qu’ils sont mal payés ou pas payés du tout. Ensuite, ils iront peut-être voler à nouveau des uniformes au sein de l’armée parce qu’ils doivent se tenir prêts. C’est un jeu d’enfant pour l’ADF d’obtenir des uniformes par un intermédiaire.

Les dirigeants de l’armée sont bien conscients de ces faits. Ils ont décidé il y a quelque temps de modifier l’uniforme officiel des FARDC, afin que l’on puisse clairement distinguer leurs anciens uniformes (aussi aux mains des ADF) des nouveaux. Imaginez que vous êtes un soldat qui doit repousser une attaque des rebelles la nuit, qui ont précisément la même apparence que vous. Cela crée une confusion totale, ce qui est précisément le but recherché, évidemment. Un nouvel uniforme permettrait de faire plus facilement la différence entre les deux.

Il n’est alors pas difficile de comprendre qu’un militaire qui doit voyager dans la région, choisit de se mettre en civil, car on ne peut jamais prévoir la réaction de la population face aux uniformes.

À la surprise générale, il n’a pas fallu vingt-quatre heures pour que l’ADF entre en possession des nouveaux uniformes. C’est une preuve évidente des liens très étroits entre l’ADF et l’armée et de l’existence d’un siphon entre les deux.

Il n’est alors pas difficile de comprendre qu’un militaire qui doit voyager dans la région, choisit de se mettre en civil, car on ne peut jamais prévoir la réaction de la population face aux uniformes. C’est précisément ce qui vient de leur être fatal. Pour les meurtriers, ce n’était pas un crime, mais un acte légitime. Quelqu’un en civil avec des uniformes et des armes dans ses bagages doit être un rebelle.

Masse sans conscience

Lorsque l’homme et la femme ont été achevés à l’aide de lourdes pierres, les meurtriers ont pu fouiller minutieusement leurs affaires, et qu’est-ce qui en est entre autres ressorti ? Tout d’abord quelques photos où l’on peut voir clairement l’homme en tant que soldat de l’armée officielle avec ses compagnons d’armes. Et ensuite aussi sa carte d’identité militaire avec son numéro de matricule où l’on peut lire qu’il avait le grade de sergent.

Les cris de victoire se sont laissés entendre toute l’après-midi sur les réseaux sociaux. Plusieurs personnes qui ont posé des questions sur les conséquences d’une telle justice populaire se sont fait moquer ou injurier. Celui qui s’inquiétait de l’avenir de la fille entendait qu’elle ne méritait pas plus de pitié que les orphelins des attaques des ADF. Cela a pris encore plusieurs heures avant que n’apparaisse un message d’un député provincial sous cet intitulé :

COUPLE INNOCENT TUÉ EN VILLE DE BENI

« Le couple qui vient d’être abattu par la population au parking Nyavhya, il s’agit plutôt d’un élément FARDC du 3101 régiment qui était basé à Njiapanda et qui rejoignait son unité à Irumu, Province de l’Ituri. Il était avec son épouse et son enfant. Sergent Bahati Sisimbume et sa femme viennent d’être tués innocemment par une masse folle sans conscience. Sa fille âgé de 12 ans nommée Celya Esther qui est à l’état-major de la PNC reste orpheline. La justice populaire a toujours emporté les innocents au lieu et place des criminels. Paix aux âmes des victimes. »

Il a signé son message avec Honorable Jean-Paul Paluku Ngahangondi.

Le tribunal en ligne s’est immédiatement retourné contre lui : nous vous avons peut-être approuvé, mais dire de telles absurdités vous rend complice. Faites attention à vos arrières, nous réussirons bien à vous trouver !

C’est seulement après que sont apparues les photos de l’armée et la carte d’identité militaire, et c’était indiscutable : c’est vraiment un soldat pris pour rebelle par la population. Le mal est fait.

L’armée fait partie du problème

La fille a entre-temps confirmé que d’autres collègues de son papa ont entrepris le voyage de la même manière. Pour les uns, c’est une preuve que Beni est en danger : ils soulignent que l’armée est infiltrée par l’ennemi et qu’une attaque à grande échelle sur la ville est en préparation. Pour les autres, c’est un indicateur d’une organisation de l’armée extrêmement mauvaise, qui ne réussit même pas à organiser le transport de ses troupes et ne laisse aucun autre choix que de prendre les transports publics, avec tous les risques que cela comporte.

C’est une stratégie connue au Congo : faire aussi porter immédiatement la faute aux victimes de la violence.

De nombreuses personnes restent néanmoins convaincues que l’armée fait elle-même partie du problème. Hier, le compte officiel des FARDC a twitté le message suivant : “Si vous le voulez bien, on peut mettre fin à cette guerre d’ici le 15 décembre de l’année en cours. Il suffit de dénoncer tous les suspects qui vivent à vos côtés et vous allez voir l’ennemi fuir de lui-même”. Général des Armées, Célestin Mbala. Beni »

C’est une stratégie connue au Congo : faire aussi porter immédiatement la faute aux victimes de la violence. Cela a suscité des réactions indignées. Qu’il ferait mieux d’abord de regarder dans ses propres rangs, car il y a là plus d’ADF que partout ailleurs. Et en politique, même au sein du gouvernement. C’est là que ceux qui approvisionnent les groupes armés se trouvent, ceux qui portent la responsabilité, qui ont le pouvoir d’encore y mettre un terme avant Noël. Mais qui n’ont là aucun intérêt et peuvent continuer sans limites leur jeu macabre. Cela deviendra sans aucun doute un exemple classique d’une lourde bévue de communication en situation de crise. Faute d’autre solution, les FARDC ont reçu ces dernières semaines une confiance toujours plus grande de la population, mais une bourde comme celle-là annule tous ces efforts et ne fait que renforcer le sentiment de peur au sein de la population.

Augmentation des atrocités

La faute mortelle due à la colère populaire n’enlève évidemment rien à l’atrocité des meurtres en série perpétrés par la nébuleuse de l’ADF. À l’heure actuelle, il ne se passe plus un jour sans qu’une nouvelle attaque ne soit constatée quelque part et nous sommes submergés par les photos qui illustrent la violence crue. Je vais vous les épargner. On peut voir deux têtes coupées sur l’une d’entre elles, une d’une femme, l’autre d’un homme. Sur deux autres photos, on peut voir des enfants achevés à la machette sur le sol. Leurs vertèbres cervicales ont été tranchées d’un coup.

Une fois de plus, ces atrocités sont inexplicables, et une fois de plus, aucune enquête ne sera menée à ce sujet. Cela fait déjà plus de cinq ans que c’est ainsi. On me demande chaque jour ce que l’on pourrait faire pour que ces faits soient davantage connus à l’extérieur. Il est quand même impossible que la communauté internationale reste indifférente à la vue de ces morts gratuits ? Les intérêts économiques européens ne peuvent quand même pas primer sur le sort de ces agriculteurs, femmes et enfants innocents ? Si l’armée congolaise n’arrive pas à mettre un terme à cette folie, la communauté internationale ne peut-elle vraiment pas intervenir ?

J’ai arrêté d’essayer de trouver une réponse à ces questions. Cela s’apparentait trop à une excuse à notre laxisme. Je ne comprends en effet pas moi-même comment le monde peut continuer à détourner les yeux et se cacher derrière la souveraineté de l’État congolais. Dans un autre pays, on aurait déjà lancé une commission d’enquête internationale afin d’identifier et de neutraliser les responsables de ces massacres. De cette façon, la MONUSCO aurait même pu se rendre au moins un peu utile en soutenant cette commission sur le plan logistique.

Personne n’a jamais pu m’expliquer pourquoi ce n’est pas le cas au Congo. Il ne faut pas non plus s’étonner que la population cherche des liens entre les attentats récurrents et l’inertie de la communauté internationale. Ces liens doivent être obligatoirement économiques : le pillage des ressources congolaises peut en effet se faire de manière effrénée dans des régions hors du contrôle de l’État.

La Belgique ne peut-elle vraiment rien faire ?

L’éthique est une valeur que la diplomatie doit tenir en principe en haute estime.

Nos gouvernements occidentaux seraient-ils vraiment hypocrites au point de protéger les intérêts illégitimes d’entreprises en ne prenant aucune action pour mettre un terme aux attentats ? Je n’arrive vraiment pas à me l’imaginer : l’éthique est une valeur que la diplomatie doit tenir en principe en haute estime. Mais quelles sont alors les véritables raisons de notre indifférence ?

Vendredi dernier, le ministre de la Défense au Congo a lui-même fait appel à d’autres États pour soutenir la RDC dans sa lutte contre le terrorisme. Hier encore, un dirigeant de la société civile de Butembo m’a supplié de convaincre le gouvernement belge de s’investir davantage pour la population de ce qui a été auparavant la seule colonie belge. C’est précisément à ce moment-là que la télévision a annoncé dans l’arrière-fond la nomination d’un nouveau ministre des Affaires étrangères et de la Défense.

Espérons que Philippe Goffin, en tant que nouveau responsable politique qui n’a pas encore les callosités politiques de Didier Reynders, sera sensible à la misère dans laquelle vit la population de Beni, et laissera souffler un vent nouveau sur la politique des Grands Lacs de l’ancien colonisateur. Malgré la courte durée de son mandat, c’est une opportunité pour rendre la politique internationale plus humaine.

De nouvelles actions de protestation sont annoncées lundi et mardi. L’appel souligne le caractère pacifique de la protestation. Mais on insiste en même temps qu’aucun véhicule, aucune activité commerciale, aucun enseignement, aucune action humanitaire (et donc aucune lutte contre l’Ebola) et aucun Casque bleu ne sera toléré. Il y a peu de chances que cela se passe sans violence.

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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